Innovation au service d’une audace collective

Permettre aux clients finaux d’apprécier le niveau de Responsabilité Environnementale, Sociale et de Gouvernance de leurs investissements

Par Michel Camilleri

Le 31/01/2021

Transformer la vision de la détention d’actifs financiers

La version de 2020 “The Year Ahead 2020” donnait un état des lieux très précis des évolutions des réglementations financières sur la RSE ainsi que des calendriers des réformes à venir.

Il est nécessaire pour tous les acteurs de la finance d’être plus transparents, au risque de ne pas être retenus par les gestionnaires d’actifs. Ces derniers ont des comptes à rendre à leurs clients et leurs superviseurs réglementaires.

La montée de la demande de transparence financière et responsable de la part des clients est significative et on peut considérer que ce mouvement est désormais structurel. Il s’avère indispensable de proposer aux “clients finaux” une vision RSE de leurs propres investissements ainsi que les évolutions dans le temps des différents critères de suivi ESG.

La régulation avance à grands pas : l’année 2020 a vu l’émergence du règlement 2020/852 établissant le cadre pour favoriser les investissements dans les activités durables et les propositions de modifications de MIF/DDA, UCITS/AIFMD en intégrant la prise en compte des critères ESG dans ces réglementations, ainsi que la nouvelle doctrine AMF 2020-03 pour assurer la cohérence de la communication sur « l’ESG Washing ».

L’année 2021 verra la mise en place du Règlement UE n°2019/2088, dit « SFDR1 / Disclosure », la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte, Article 173 modifié par la loi Energie Climat – Article 29.

Historique des travaux de la Commission Européenne

Source : Deloitte France

A venir :

  • \Dans les actes délégués MIF : l’intégration des préférences des clients en matière de durabilité dans le cadre de la gouvernance produit et de la gestion des conflits d’intérêts
  • \Consultation de l’ESMA sur l’intégration des risques et des facteurs de durabilité dans les directives UCITS et AIFM

Il est temps d’aborder maintenant la finalité de toutes ces évolutions : permettre aux clients finaux d’avoir une vision claire de la responsabilité sociale et environnementale de leurs placements aujourd’hui mais aussi de leurs évolutions dans le temps.

Calendrier d’applications des textes

Etat de l’art à ce jour

Les reportings financiers actuels des clients sont loin d’être aussi exhaustifs et précis que ceux exigés par les régulateurs aux gestionnaires d’actifs.

Les reportings clients se concentrent sur des visions comptables arrêtées avec des filtres de visualisation par classes d’actifs et zones géographiques, prix de revient d’acquisition et niveaux de risques des sous-jacents (les actifs détenus) d’un portefeuille (les informations sur les niveaux de risques sont donnés par actifs financiers).

Pour l’heure, et à de très rares exceptions près, peu de clients bénéficient d’une information lisible sur le niveau de risque financier global de la consolidation de leurs investissements.

Au mieux, le risque – volatilité – est défini à l’instant de l’édition selon des méthodologies de calculs peu explicitées au-delà d’un “Time Weighted” ou “Méthode Dietz” sans détail sur l’intervalle de calcul.

Il en va de même pour le niveau de RSE ou d’ESG : aucune information n’est remise au client final, autres que celles des actifs sous-jacents de façon unitaire. Par ailleurs, en cas de détention de parts de fonds communs de placement ou d’unités de comptes de contrats d’assurance vie, l’information finale du client sera illisible du fait d’un système de notation non unifié et propre à chaque société de gestion pour chacun de leurs fonds communs de placements (cf infra).

Quelle innovation ?

Aller vers une vision centrée sur le client final

C’est pourtant une base indispensable si l’on souhaite consolider les informations des détentions financières des clients avec les données ESG des actifs qui composent leurs portefeuilles.

Ce que demandent les clients finaux, à l’instar de la réglementation, c’est de pouvoir vérifier si leurs investissements évoluent dans le cadre de risque financier qui leur a été proposé et dans un sens « responsable » (au titre de l’ESG) dans le temps.

Modifier les principes directeurs actuels des suivis des portefeuilles « Clients »

Dans un premier temps, les outils de suivi des portefeuilles des clients finaux devront évoluer afin de pouvoir présenter des évolutions temporelles des détentions d’actifs et des niveaux de risques à la place des visions statiques actuelles.

Cela revient peu ou prou à mettre en œuvre les outils de suivi des fonds collectifs au niveau du client, en considérant l’ensemble de ses actifs comme un fonds commun de placement. Les solutions de marchés actuelles n’y répondent pas et imaginer mettre cela en place sur des outils classiques (Excel par exemple) relève de la gageure.

L’audace : laisser le client définir sa propre notation ESG

Nous constatons chaque jour les apports de nouvelles informations pluriannuelles sur les différents critères des champs E-S-G des titres financiers. Les grandes agences de notation avancent à grands pas dans la constitution de ces bases de données, certaines proposant leurs propres notations. Nous n’ouvrirons pas ici le débat sur ce dernier point.

Chacun de ces axes ESG référencent plusieurs dizaines (voire centaines) de champs sur plusieurs périodes fiscales. Il faudra donc procéder à des choix d’informations sur chaque axe et leur affecter un poids afin de définir des notes Environnementales, Sociétales et de Gouvernance. Plusieurs syndicats professionnels s’attachent à définir un cadre global acceptable, à l’image de l’AFG (voir tableau AFG qui suit).

Il faut permettre au client “final” d’apprécier le niveau RSE / ESG – et ses évolutions dans le temps – de ses avoirs selon sa propre sensibilité tout en respectant les préconisations réglementaires.

Il est possible de se servir des questionnaires de risque “KYC”, que chaque gestionnaire doit soumettre régulièrement à ses clients en ajoutant un chapitre ESG répondant aux directives du Règlement 2019/2088, publié au JO de l’UE le 27 novembre 2019, sur la publication d’informations en matière de durabilité́ dans le secteur des services financiers est applicable compter du 10 mars 2021, et dit « Disclosure » (ou SFDR).

Il faudra laisser le choix au client de pondérer chaque pilier ESG pour définir sa propre notation globale.

Proposition de l’AFG de présentation des axes ESG

Source AFG

    Enrichissement des bases de données des titres financiers

    Ces nouvelles règles appellent une évolution considérable des bases de données des teneurs de comptes (banquier et assureurs) : chaque titre financier devra être “enrichi” d’une série d’informations pluriannuelles ESG propres à répondre aux besoins de reportings des clients et d’une notation interne personnalisée et détaillée.

    Une note ESG harmonisée

    Cette démarche va se heurter un obstacle de taille : chaque acteur de la gestion financière collective définit ses propres critères de notation. Ceci rend la démarche de notation globale sur les portefeuilles de fonds communs de placements irréalisables, sauf à unifier les systèmes de notation. Ce dernier point ne semble pas être prévu dans les différents textes réglementaires.

    Nonobstant, en accédant aux inventaires des fonds communs de placement et en mettant en œuvre des processus de “transparisation”, cette faille pourrait être comblée. Mais cela nous ramène aux évolutions des systèmes d’informations des banques et assurances cités au début de ce document.

    Cette démarche va se heurter un obstacle de taille : chaque acteur de la gestion financière collective définit ses propres critères de notation. Ceci rend la démarche de notation globale sur les portefeuilles de fonds communs de placements irréalisables, sauf à unifier les systèmes de notation. Ce dernier point ne semble pas être prévu dans les différents textes réglementaires.

    Nonobstant, en accédant aux inventaires des fonds communs de placement et en mettant en œuvre des processus de “transparisation”, cette faille pourrait être comblée. Mais cela nous ramène aux évolutions des systèmes d’informations des banques et assurances cités au début de ce document.

    En conclusion

    Comme nous l’avons décrit précédemment, les reportings financiers des clients sont généralement des inventaires de portefeuilles à un instant “t” avec des informations sur les actifs présents à ce moment: ces rapports financiers sont totalement inadaptés aux demandes de suivi de l’évolution des impacts ESG des investissements dans le temps, ne serait-ce que pour vérifier que le portefeuille va “dans le bon sens” de la RSE. Les clients souhaitent aujourd’hui s’intégrer dans une dynamique.

    Les adaptations de ces services seront forcément complexes et coûteux dans les environnements actuels de gestions financières car peu de solutions stockent les inventaires historiques de façon fine et régulière, quasiment aucune ne permet de suivre des avoirs clients « dynamiquement ».

    Permettre aux clients finaux de définir leur propre notation ESG, dans le respect des textes existants, ouvrirait le champ audacieux d’une transparence maîtrisée sur les sujets de responsabilité sociale et environnementale avec plus d’efficacité que des contraintes ou des « carottes » fiscales par exemple.

    La notion de niveau de RSE – ESG ouvre une complexité supplémentaire dans un cadre ouvert qui, de façon contradictoire, risque de laisser le champ à plus de complexité et donc au final moins de transparence pour le client final.